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Une page d'histoire

Nos rapports avec nos cousins anglais, en Normandie, et particulièrement en baie du Mont-Saint-Michel, ont longtemps été orageux. Un écrivain anglais, Clark, a même écrit un livre d'histoire intitulé 1000 years for annoying the french. Cependant, dans les trois premiers épisodes de mon récit, comprenez qu'en baie du Mont-Saint-Michel, ce sont les Français qui ont longtemps (800 ans au moins) « ennuyé » les Anglais. Et ceci jusqu'à l'Entente cordiale qui prend son origine dans une rencontre entre Louis-Philippe et la reine Victoria, entente poursuivie et renforcée ensuite par Napoléon III mais qui n'est devenue officielle qu'en 1904. Le quatrième épisode de mon récit, dans le cadre de cette Entente cordiale, rend hommage à nos cousins anglais venus libérer la Normandie le 6 juin 1944.

La preuve en 4 épisodes. 

1er épisode : Guillaume le Conquérant (1027-1087)

Vers 1055, Guillaume, âgé de 28 ans, traverse la Manche, rencontre son oncle Édouard le Ccnfesseur, roi d'Angleterre qui, sans héritier direct, désirait préparer sa succession. Le jeune et brillant Guillaume avait épousé Mathilde en 1050 et venait de rétablir la paix dans ses États normands. Édouard le choisit comme héritier de la couronne d'Angleterre. 

En 1064, il choisit 6 vaisseaux construits au port de Genêts sur ordre de Ranuphle, abbé du Mont-Saint-Michel. Guillaume préfère ceux de Genêts en raison de leur qualité : il y avait à Genêts un important chantier de construction navale. Un dicton retrouvé aux archives de Saint-Lô ne dit-il pas : « Genêts tient nefs, dromons et barges qui sont belles, grandes et larges ». On retrouve encore dans ce village des charpentes de maisons qui visiblement ont été assemblées comme des coques de vaisseaux par des charpentiers du port. 

La suite, nous la connaissons, en particulier par la tapisserie de Bayeux. 

Harold, revenu en Normandie confirme à Guillaume, sur ordre d'Edouard, qu'il sera roi d'Angleterre. Guillaume et Harold traversent la baie et le Couesnon en partant très probablement du port de Genêts, pour régler un différend avec leur voisin breton Odon. Nous voyons Harold sauver un cavalier tombé dans le Couesnon. Guillaume apprenant qu'Harold s'est fait désigner par Edouard puis couronner roi d'Angleterre à la mort de celui-ci, traverse la Manche, bat les partisans d' Harold à Hastings (Harold y est tué), se fait couronner roi d'Angleterre. Il revient en France chargé de présents que ses troupes ont entre-temps pillés. Guillaume fait couronner Mathilde comme reine d'Angleterre. 

Je me suis rendu à Hastings il y a quelques années, mais j'ai été très surpris de ne trouver aucun monument, aucun musée rappelant cet événement. Mais j'avais procédé trop rapidement, car, contrairement à la légende figurant sur le tapisserie de Bayeux, le lieu réel est « Battle » à 10 km de là. Guillaume et Harald traversant la baie du Mont-saint-Michel, Tapisserie de Bayeux.

2e épisode : La guerre de cent ans en Baie du Mont-saint-Michel (1418-1450)

En 1418 (je me réfère à notre regretté ami Robert Sinsoloilliez), Henri V d'Angleterre revendique la couronne de France. Son lieutenant William de la Pole prend Avranches, établit une garnison à Genêts et Tombelaine. Des rues de Genêts comme la rue des Granges (destinées au ravitaillement de la cavalerie anglaise) et celle de l'Avant-Garde portent encore des noms datant de cette époque. Il s'agit pour les Anglais de prendre le Mont-Saint-Michel, symbole de la résistance française. À Tombelaine, Thomas Burgh construit une forteresse dont subsiste encore la ruine dite « Tour aux Anglais ». 

Aprés avoir réuni une flotte importante qui se met au mouillage à l'ouest du Mont, les Anglais attaquent celui-ci en force en 1425. D'audacieux navires bretons (dont 30 venant de Saint-Malo), armés par le duc de Bretagne, attaquent de nuit par le travers la flotte anglaise immobilisée et la détruisent.

Au Mont-Saint-Michel, les 110 chevaliers et 600 hommes d'armes se défendent avec succès contre les attaques par les grèves derrière les fortifications établies par l'abbé Jolivet. Celui-ci, opportuniste, était depuis passé aux Anglais. Les pèlerinages vers le Mont sont cependant admis à traverser la baie malgré les hostilités. 

Le 17 juin 1434, veille de la saint Aubert, les Anglais organisent une grande attaque par les grèves Ils sont au moins 3 000 et disposent cette fois d'artillerie. Ils créent une brèche dans les murailles avec d'énormes boulets de pierre de 18 pouces, en vain Ils doivent se retirer. Louis d'Estouteville, qui commande au Mont, ordonne la poursuite et les Anglais sont massacrés.

La garnison de Tombelaine ne se rendra qu'en 1450 et quittera l'îlot où les Anglais sont restés 33 ans ! Oui vraiment, entre 1417 et 1450, nous avons bien « ennuyé » les Anglais devant Genêts, sans oublier les embuscades comme celle de 1436 qui les ont conduits à se retrancher au roc de Granville. 

Comment l'Anglais est-il revenu plus tard en baie du Mont-Saint-Michel ? En fait, c'est un Écossais, le pasteur William Craig, qui revient au Mont en bicyclette en 1906 avec ses enfants Edith et Jean. Il dort à l'auberge de la mère Poulard, rencontre un journaliste de la revue Les bords du Couesnonet l'informe qu'il descend d'un officier du roi d'Angleterre tué au grand combat de 1434. Il prélève pour son musée personnel situé à Faril Naphian en Écosse un petit fragment des bombardes qui ont participé à la grande attaque où son ancêtre a été tué. La tour construite par les Anglais sur l'ilôt de Tombelaine pendant la guerre de Cent Ans.

3e épisode : L'exploit de Pierre Pigeon (1814-1869)

Pierre Pigeon est né à Carolles en 1790. 

Il est l'ancêtre d'une famille encore bien présente sur les rives de la Baie. Élisabeth Pigeon, sa nièce lointaine, est ma voisine à Carolles. Pierre Pigeon est appelé sous les drapeaux en 1809. Lorsqu'il part, son père, employé de la douane, lui dit les larmes aux yeux : « Mon fils sois brave et ne déserte jamais ». Nous le retrouvons adjudant à Bayonne en 1814, citadelle où l'armée de Napoléon est assiégée par les Anglais commandés par le général Hope. Pierre Pigeon se porte volontaire avec deux officiers pour tendre une embuscade de nuit près du quartier général des Anglais. Tout à coup, il entend trois cavaliers approcher. Il donne l'ordre de croiser la baïonnette et de ne faire feu qu'en dernière extrémité. Il fait prisonnier le général Hope qui se rend avec deux de ses officiers.

Un des officiers français ordonne alors au général Hope de se rendre au quartier général français. Hope, reconnaissant d'avoir vu sa vie épargnée par Pierre Pigeon, déclare : « Je ne suivrai que l'adjudant qui m'a fait prisonnier » et lui remet son sabre.

Pierre Pigeon est nommé officier sur le champ de bataille et terminera sa carrière militaire comme commandant de la garde militaire d'Arras, et chevalier de la Légion d'honneur. Il fut enterré à Genêts en 1869. L'emplacement de sa tombe, au pied de l'église, existe mais mériterait d'être restauré. L'Anglais qui, dans cet épisode, est revenu en baie du Mont-Saint-Michel n'est pas une personne, c'est un trophée glorieux ! Le sabre du général Hope, que celui-ci avait remis à Pierre Pigeon lors de sa reddition est présent sur les rives de la baie du Mont-Saint-Michel, entre les mains des descendants d'Élisabeth Pigeon. Le sabre du général Hope remis à Pierre Pigeon en 1814 lors de sa capture.

4e épisode : Neil Saunders, médecin de l'escadrille de Typhons de la Royal Air Force (6 juin 1944-2006)

J'ai entendu parler de Neil Saunders en 2006 par ses neveux Sandy et Rose Mary Saunders qui possèdent une résidence à Saint-Jean-le-Thomas. Neil, sans descendance directe, avait fait promettre avant son décès à Sandy de publier ses mémoires de guerre qui, écrits en anglais, couvrent la période de mai 1944 à la capitulation allemande du 8 mai 1945, avec un retour 10 ans après en Allemagne. J'ai donc aidé Sandy à publier ces mémoires, qui sont aussi ceux de son escadrille qui, sur le terrain du Fresne-Camilly, prés du château de Fontaine-Henry, était soumise aux tirs de l'artillerie allemande. Ils furent traduits et publiés sous le titre « Neil Saunders, un médecin en mission avec la Royal Air Force ».

Neil était essentiellement un pacifiste mais s'était engagé comme médecin d'une escadrille de Typhons, avions destructeurs de tanks et véhicules. Il a partagé la vie dangereuse des pilotes de Carpiquet. La mission qu'il a poursuivie, avec le soin des blessés de son escadrille, a été aussi de soigner les prisonniers allemands. Il était horrifié de voir de jeunes soldats des jeunesses hitlériennes se laisser mourir plutôt que de se voir transfuser du sang anglais! Il a ouvert des cliniques pour soulager les souffrances des populations civiles libérées. Chaque fois qu'il en avait l'occasion, il visitait les cathédrales médiévales en établissant des contacts chaleureux, par exemple en visitant la cathédrale de Bayeux avec son ami Boris, grand organiste au King's College de Cambridge. Neil était lui-même un grand organiste. Ils ont eu une rencontre pleine d'humour avec le curé de cette cathédrale où Boris joua sur l'orgue, tandis que Neil actionnait manuellement les soufflets, car la centrale électrique qui les alimentait avait été détruite. Ils sont survolés par un V1 qui, heureusement pour eux, se dirige vers les lignes allemandes.

Je ne vous raconterai pas tout ce livre émouvant. Sachez seulement que la bibliothèque de Caen en possède un exemplaire et qu'un des fils du chef d'escadrille de Neil, venu dans la région l'an dernier s'est écrié : « Comment ! Les mémoires de Neil ont été publiés, quelle émotion ! ». 

Couverture du livre de Neil Saunders représenté en photo avec les pilotes de son escadrille sur l'aérodrome de Camilly en juin 1944.

J'ai terminé par cet épisode qui rend hommage à nos cousins anglais, car si nous les avions bien « ennuyés », en particulier en baie du Mont-Saint-Michel et si, réciproquement, ils avaient longtemps été annoying pour nous, depuis l'Entente cordiale nous sommes redevenus amis. Ils nous ont laissé creuser le tunnel sous la Manche, ce qu'ils nous avaient interdit du temps de Napoléon, tout en le faissant aboutir par malice à Waterloo Station. L'Eurostar arrive depuis à la nouvelle gare de « Saint Pancras station », compte tenu sans doute de nos remarques. Bien sûr, ils restent « peculiar », ils sont Européens tout en conservant leur monnaie, la livre, et gardent les yeux tournés vers le large. Ce sont de bons amis, et nous aimons les voir revenir nombreux chaque année en Normandie, particulièrement en baie du Mont-Saint-Michel.

 

HUBERT LEPOUTRE, Amis du site de Genêts, de ses environs et de la baie du Mont-Saint-Michel